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Joannès DURAND

Monsieur DURAND vous chantiez au dernier repas des anciens cette émouvante chanson : " Ils ont brisé mon violon parce que j'avais l'âme française et que sans peur aux échos du vallon j'ai fait chanter la Marseillaise ". En vous écoutant on sent vraiment que ces paroles sont vôtres. " Patrie ", " Honneur ", " Liberté ", " Justice " ne sont pas pour vous que des mots.

Que ce soit pour des manifestations locales ou sportives. est ce un besoin pour vous de vous mettre au service des autres?


M. DURAND – Oui c'est une vielle chanson, j'étais très jeune quand mon père me l'a apprise et que mes sœurs m'accompagnaient à la mandoline. A cette époque, on étudiait Corneille au collège : Le Cid, Horace… j'ai été très marqué par ces valeurs morales des tragédies classiques. L'éducation et l'exemple donnés par mon père allait dans le même sens.

Parlez-nous de votre enfance


J.D – je suis né en 1912, dans une famille de cinq enfants. Ma mère est morte en 1924. J'ai été très marqué par ce décès précoce. J'aimais beaucoup l'école, je suis allé au collège pendant trois ans. En captivité, j'ai pu reprendre, plus tard, mes études grâce à des compagnons professeurs. Mon père, lui est mort la nuit qui a suivi mon départ pour le front, le 27 août 1939

La guerre vous en gardez des cicatrices…


J.D – La guerre permet parfois, de montrer ce qu'on a dans le cœur. Je pars donc le 27 août 1939 , dans l'Artillerie de Montagne, comme sous officier : c'est vraiment la drôle de guerre, ordres, contre-ordres, avances, reculs incompréhensibles pour la troupe. Sur la Seine, le Commandant nous fait part de sa décision de se rendre. Avec quelques camarades, nous refusons. Nous marchions la nuit et nous cachions le jour. Je me souviens de cette arrivée à 3 h du matin dans un château : nous l'explorons… il paraît désert… Une porte fermée de l'intérieur nous intrigue, nous la forçons et nous découvrons une cinquantaine de réfugiés morts de peur.. Nous dormons dans une grange… pas longtemps ! Une heure plus tard le château est envahit par les Allemands. Nous nous cachons dans la paille. Lorsque les soldats sont installés nous fuyons... On avait déjà appris à ne plus avoir peur … Je suis arrêté deux jours avant l'armistice. Je demande à partir en commando, c'est plus dur mais je pense qu'une évasion sera plus facile qu'en stalag… En effet, en 41, avec deux camarades nous coupons les barbelés… Mais 14 jours plus tard nous sommes repris sur le Rhin : 21 jours de cellule, trois mois de régime punitif. Un matin lors de l'appel, nous sommes quelques uns à refuser de partir au travail. On nous pousse face au mur, les fusils allemands nous mettent en joue… nous ne devons la vie qu'à l'intervention in-extrémis d'un gradé. On nous installe alors dans une baraque d'officiers réfractaires : nous sommes 25 dans 25 m2 , le poêle au milieu, jours et nuits… sans rien faire… Alors je m'évade encore en 42, nous montons dans le train ; à Aix-la-Chapelle une patrouille Allemande nous arrête : c'est d'abord le camp d'attente gardé par des chiens, puis la déportation en Pologne dans le triangle de la mort. Chaque matin vers 10 h, nous voyons monter le train pour Treblinka ou Auchwitz. Je suis resté 20 mois dans cet enfer. Devant l'avance des Russes, en 44, les Allemands nous ont ramenés en Autriche, entassés à nouveau dans les wagons (chevaux 88, hommes 40). Là c'est vraiment très dur… 11 mois jusqu'à l'arrivée des Américains en juin 45.

Vous avez toujours refusé de vous soumettre ?


J.D – Non, je n'ai jamais pu accepter de ne pas être libre. Pour un opprimé, la mort n'est rien et je comprends parfaitement les derniers évènements de Roumanie. Mais attention, ma liberté s'arrête où commence celle d'autrui.

Avec le recul du temps, comment voyez-vous l'Europe ?

J.D – En 1939, l'Allemagne pratique une hégémonie militaire. Aujourd'hui, le danger est plus dans une hégémonie économique et financière, mais c'est peut-être une autre manière de diriger l'Europe.

Catholique convaincu, comment jugez-vous l'intégrisme religieux ?


J.D – Tout ce qui change trop vite ne dure pas et je suis pour le respect des dogmes et des traditions. Mais tous les intégrismes sont à rejeter qu'ils soient islamiques ou catholiques : au nom d'un Dieu, si l'on assassine, ce n'est pas acceptable. Religion doit être synonyme de respect de l'Homme. La tolérance est une valeur fondamentale.

Vous avez la réputation d'avoir travaillé au maximum de ce que peut faire un individu. Est-ce par attachement à votre terre ?

J.D – Lorsque je suis rentré en 45, la propriété de mon père partagée en 5 il me restait 2,5 hectares de prés et de terres ; j'ai pris un vigneronnage au château pour vivre. Il a bien fallu travailler dur ! En 54 je suis tombé gravement malade : les médecins me donnaient au mieux 3 ans à vivre… ma femme surmenée lâche à son tour… alors je quitte l'hôpital que je ne peux plus payer. Mon attachement à la terre de Bagnols, c'est de l'atavisme, il y a des Durand à Longchamp depuis 1648 !


Depuis la guerre, vous vous êtes toujours occupé, avec beaucoup de dévouement de diverses organisations…

J.D – Dès mon retour en 45 et jusqu'à ce jour, je me suis occupé des Anciens Combattants. J'ai été le Président de la Mutuelle Incendie de Bagnols, puis Vice-Président de celle du Bois d-Oingt après le regroupement. J'ai été conseillé municipal pendant deux mandats. En 56, la création d'un syndicat agricole était une nécessité, je l'ai présidé pendant 12 ans ; plus tard j'ai poursuivi ma tâche pour qu'un POS se mette en place. Ce n'était pas toujours facile d'assumer toutes ces tâches et ma femme, en me remplaçant à la ferme, a prit une large part à ce travail.

 


Servir, c'est aussi une des valeurs des tragédies classiques de votre enfance ; merci Monsieur DURAND pour votre accueil simple et chaleureux et pour votre franchise sans complaisance qui nous a dévoilé une vie riche d'évènements certes, de travail également mais aussi de dévouement pour les autres.
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