Suivez les actualités de Bagnols sur Facebook


      



LETTRES DE LA MARQUISE DE SÉVIGNÉ

6 février 1671, Lettre adressée par Madame de Sévigné (le lendemain de ses quarante-cinq ans) à Françoise de Grignan, sa fille.

À Paris, vendredi 6 février 1671

« Ma douleur serait bien médiocre si je pouvais vous la dépeindre. Je ne l’entreprendrai pas aussi. J’ai beau chercher ma chère fille, je ne la trouve plus, et tous les pas qu’elle fait l’éloignent de moi. Je m’en allai donc à Sainte-Marie, toujours pleurant et toujours mourant : il me semblait qu’on m’arrachait le cœur et l’âme ; et en effet quelle rude séparation ! Je demandai la liberté d’être seule. […]. J’y passai cinq ou six heures sans cesser de sangloter : toutes mes pensées me faisaient mourir… ».


16 mars 1672 , Lettre de Madame de Sévigné à sa fille Madame de Grignan.
Paris, mercredi 16 mars 1672

Vous me demandez, ma chère enfant, si j’aime toujours bien la vie. Je vous avoue que j’y trouve des chagrins cuisants ; mais je suis encore plus dégoûtée de la mort : je me trouve si malheureuse d’avoir à finir tout ceci par elle que si je pouvais retourner en arrière je ne demanderais pas mieux. Je me trouve dans un engagement qui m’embarrasse : je suis embarquée dans la vie sans mon consentement ; il faut que j’en sorte, cela m’assomme ; et comment en sortirai-je ? Par où ? Par quelle porte ? Quand sera-ce ? En quelle disposition ? Souffrirai-je mille et mille douleurs, qui me feront mourir désespérée ? Aurai-je un transport au cerveau ? Mourrai-je d’un accident ? Comment serai-je avec Dieu ? Qu’aurai-je à lui présenter ? La crainte, la nécessité feront-elles mon retour vers lui ? N’aurai-je aucun autre sentiment que celui de la peur ? Que puis-je espérer ? Suis-je digne du paradis ? Suis-je digne de l’enfer ? Quelle alternative ! Quel embarras ! Rien n’est si fou que de mettre son salut dans l’incertitude ; mais rien n’est si naturel, et la sotte vie que je mène est la chose du monde la plus aisée à comprendre. Je m’abîme dans ces pensées, et je trouve la mort si terrible que je hais plus la vie parce qu’elle m’y mène que par les épines qui s’y rencontrent. Vous me direz que je veux vivre éternellement. Point du tout ; mais si on m’avait demandé mon avis, j’aurais bien aimé à mourir entre les bras de ma nourrice : cela m’aurait ôté bien des ennuis et m’aurait donné le ciel bien sûrement et bien aisément ; mais parlons d’autre chose.

Je suis au désespoir que vous ayez eu Bajazet par d’autres que par moi. C’est ce chien de Barbin qui me hait, parce que je ne fais pas des Princesses de Montpensier. Vous en avez jugé très juste et très bien, et vous aurez vu que je suis de votre avis. Je voulais vous envoyer la Champmeslé pour vous réchauffer la pièce. Le personnage de Bajazet est glacé ; les mœurs des Turcs y sont mal observées ; ils ne font point tant de façons pour se marier ; le dénouement n’est point bien préparé : on n’entre point dans les raisons de cette grande tuerie Il y a pourtant des choses agréables, et rien de parfaitement beau, rien qui enlève, point de ces tirades de Corneille qui font frissonner. Ma fille, gardons-nous bien de lui comparer Racine, sentons-en la différence. Il y a des endroits froids et faibles, et jamais il n’ira plus loin qu’Alexandre et qu’Andromaque. Bajazet est au-dessous, au sentiment de bien des gens, et au mien, si j’ose me citer. Racine fait des comédies pour Champmeslé : ce n’est pas pour les siècles à venir. Si jamais il n’est plus jeune et qu’il cesse d’être amoureux, ce ne sera plus la même chose. Vive donc notre vieil ami Corneille ! Pardonnons-lui de méchants vers, en faveur des divines et sublimes beautés qui nous transportent : ce sont des traits de maître qui sont inimitables. Despréaux en dit encore plus que moi ; et en un mot, c’est bon goût : tenez-vous-y.

Voici un bon mot de Mme Cornuel, qui a fort réjoui le parterre. M. Tambonneau le fils a quitté la robe, et a mis une sangle autour de son ventre et de son derrière. Avec ce bel air, il veut aller sur la mer : je ne sais ce que lui a fait la terre. On disait donc à Mme Cornuel qu’il s’en allait à la mer : « Hélas, dit-elle, est-ce qu’il a été mordu d’un chien enragé ? » Cela fut dit sans malice, c’est ce qui a fait rire extrêmement.



HISTOIRE
du château

PHOTOS
des travaux

GLACIÈRE

LE PIEGONNIER

MANUSCRIT
DE CHAVANES

La Marquise
DE SÉVIGNÉ
Ses lettres

PROPRIÉTAIRES
successifs

DIRECTEURS
d'Etablissement